8 avr. 2009

Qui paiera les pots cassés ?




1.

Que sont devenus les néolibéraux? Après avoir fait disparaitre un quart de la richesse du monde, ce sont eux qui ont disparu. Ils ne prêchent plus que la toute-puissance du capital conduit au ciel, car elle nous a précipité en enfer. Ils ne protestent pas non plus contre l'intervention de l'Etat, car celui-ci leur envoie des gilets de sauvetage dorés pour les récompenser d'avoir causé le déluge. Et encore moins nombreux sont ceux qui proposent la dérégulation, car l'anarchie de la concurrence est l'arme avec laquelle ils se sont entre-tués. Ils insistent seulement sur le fait que c'est le travailleur qui doit payer les pots cassés. Comme l'a dit Eduardo Galeano, "le socialisme, après tout, n'est pas si mauvais quand il s'agit de socialiser les pertes".

2.

Toute catastrophe dépouille l'ordre qui l'a produit. Durant le naufrage du Titanic, l'accès aux canots de sauvetage a été interdit aux marins, aux deuxième et troisième classe, aux domestiques et aux mécaniciens et à l'orchestre qui égaya le naufrage. Source de tout profit, le travailleur est aussi la solution de toute perte. "Le sacrifice doit être partagé", a dit la FEDECAMARAS (Federation des chambres et associations de commerce et de production du Venezuela) après son désastreux exercice 2002, lorsqu'elle licencia des dizaines de milliers de travailleurs. La compagnie d'assurances AIG reÇoit 173 milliards de dollars d'aides financières, et elle affecte 450 millions de primes aux cadres supérieurs qui l'ont mené à la ruine. Le capitalisme sacrifie toujours ceux qui ont crée sa richesse

3.

En conséquence, les Etats.Unis envoient 3.600.000 travailleurs à la rue, pendant que l'Organisation Mondiale du Travail prévoit que, pour la fin de l'année 2009, 51 millions d'emplois supplementaires seront perdus dans le monde, et révèle des taux de chomage terribles dans les pays hégémoniques : 14.4% en Espagne, 8.1% en France, 8.1% aux Etats-Unis, 7.2% en Allemagne, 6.9% en Suède, 6.7% en Italie, 6.1% en Grande-Bretagne (Nelson D. Schwartz: “Empleos alterados”; The New York Times, 21-2-2009,p.3). Il y a 17,5 millions de chomeurs dans l'Union Européenne, et l'on en prévoit 3,5 millions supplémentaires en 2009.
La situation n’est pas meilleure pour les économies qui ont apporté de l’eau au moulin du capitalisme. En Chine, 20 millions de personnes ont perdu leur travail ; en Inde, rien qu’entre octobre et décembre 2008 il y a eu 500 000 nouveaux chômeurs. Pour l’Amérique du Sud, l’Organisation Internationale du Travail prévoit 2,4 millions de chômeurs supplémentaires en 2009. Le capitalisme ne peut plus générer d’emplois.

4.

Tout comme les spéculateurs se sont lancés dans la bagarre pour les gains, les travailleurs se battent pour le peu d’emplois qu’il reste. Pour se les réserver ils discriminent par sexe, race ou religion, endurcissent les lois sur l’immigration, ferment les frontières, appliquent des « Directives de retour » et érigent des « murs de la honte » contre les immigrants légaux et illégaux. La question de l’impossible retour se pose pour les 18 millions d’émigrés mexicains, les 5 millions de colombiens, les 3 millions de péruviens, le million et demi de salvadoriens, le million de nicaraguayens, les 800 000 équatoriens qui s’en sont allés à la recherche de travail dans les métropoles. La crise secoue les pays qui dépendent des remesas de leurs émigrés (remesa : l’argent que les émigrés envoient à leur famille restée au pays). Le Mexique voit se réduire les 4,224 milliards de dollars qu’il reçoit annuellement, idem pour le Brésil et ses 1,213 milliards, le Salvador et ses 1,086 milliards, la République Dominicaine et ses 847 millions de dollars. Le manque de remesas frappe aussi quasiment toute l’Afrique et une grande partie de l’Asie.

5.

Sans travail il n’y a pas de salaire ; sans salaire il n’y a pas de consommation. Les économies développées diminuent leurs importations en provenance des pays sous-développées : la crise se déplace vers les victimes habituelles. Obama lance le slogan « Buy American ! », qui signifie : « N’achetez pas aux autres pays ». C’est une condamnation à mort prononcée par le plus grand importateur du monde qui, en 2007, a acheté pour 1 985 000 000 000 000 dollars à l’extérieur. La production des pays périphériques ne rencontre plus de Demande, les prix de leurs produits tombe en chute libre, leurs usines ferment, leurs travailleurs sont à la rue.

6.

Mais, à leur tour, les pays en voie de développement, affectés par la faillite de leurs entreprises et le chômage qui en résulte, restreignent leur demande d’importations de biens de pays développés. En 2007 les Etats Unis exportaient des biens pour un montant de 1 149 000 000 000 000 dollars. Una part significative de ces biens ne trouvera pas d’acheteur. Un grand nombre d’entreprises dédiées à la spéculation feront faillite. La crise est comme une spirale qui à chaque tour aggrave ses effets et, livrée à elle-même, étranglera ses boucles jusqu’à l’effondrement final.

7.

Une économie privée qui ne peut pas se sauver elle-même peut être sauvée par l’Etat. Mais ne nous y trompons pas : l’aide de l’Etat est elle-même payée par les travailleurs, premières et dernières victimes de tout. Les aides financières, les grandes œuvres publiques, les injections de crédit au système économique, mesures keynésiennes classiques et anticycliques, sont financées à travers des arbitrages eux aussi classiques : augmentation incontrôlée de la masse monétaire circulante qui dévalue la monnaie, création d’une dette publique qui devra être payée para une hausse des impôts, déficit systémique qui, en fin de compte, s’annule lui aussi avec une augmentation des obligations fiscales. Tout cela sortira du porte monnaie du citoyen.

8.

Lorsque la crise a éclaté, il existait 1,4 milliard de pauvres, 963 millions d’affamés et 198 millions de chômeurs, en tout 2,553 milliards de personnes, soit 38% des êtres humains dans uns situation précaire. La crise va élever ces chiffres. Si vous souhaitez savoir qui va la payer, regardez-vous dans le miroir.




Texte et photo de Luis Britto Garcia
Traduction par R. V. (me contacter pour éventuelles améliorations)
Pour voir la version originale cliquez ici

1 commentaire:

  1. Méssage pour Luis,
    cela ne dérange pas qu'une fervante "latinoameriacana" t'écris en français? C'est juste pour montrer que je suis poliglote et fière de l'être! Hablo pabadas, después de tanta inteligencia en el texto, te escribi en el blog de la "déclaracion" y no salio la respuesta, de pronto me contestas aca. te preguntaba si puedo poner la declaracion como introduccion a mi proximo libro. Me gusta el contenido de esa declaracion.
    Aprovecho para saludarte con carino y admiracion.
    Martina

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