17 avr. 2009

La génération de la quatrième guerre


D'anciennes voix ont parlé de la guerre.
Samuel Taylor Coleridge : "Kublai Khan"

1.

On parle beaucoup de la guerre de quatrième génération; quasiment pas de la génération de la quatrième guerre, qui a déjà commencé.

2.

Les crises apportent des guerres, qui elles mêmes apportent des crises. Celle de 1790 radicalise la Révolution Française et annonce les campagnes napoléoniennes. Les Etats-Unis interfèrent dans la guerre d'Indépendance de Cuba en 1898 pour sortir d'une grave récession qui trainait depuis 1873. Le 20ème siècle commence par une autre crise économique mondiale, et pour la surmonter le capitalisme déclare la première guerre, elle aussi, mondiale. L'armistice déclenche une autre crise d’après-guerre qui balaye l'Italie, l'Allemagne et une grande partie de l'Europe et qui éclate aux Etats-Unis avec le crash boursier de 1929, qui, inévitablement, mène au conflit suivant.

3.

Les ingénus acceptent l'invasion de la Pologne en 1939 comme le début de la 2nde guerre mondiale, mais les hostilités étaient déjà déclarées depuis l'invasion de Mussolini en Ethiopie en 1935, la guerre civile en Espagne en 1936 et l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne en 1938.

4.

Les naïfs croient que la guerre du pacifique commença en 1941 avec l'attaque de Pearl Harbour, mais en réalité elle avait commencé en 1934 avec l'invasion de la Manchourie par le Japon et l'intervention des Etats-Unis en Chine avec armements, pilotes et l'embargo pétrolier imposé au Japon.

5.

La seule date certaine de commencement d'une guerre est la signature des accords de paix de la guerre précédente, qui, invariablement, inaugure l'immédiate crise d'après-guerre.

6.

La nature perverse du capitalisme est telle que lorsque la demande relative (la demande de ceux qui non seulement ont besoin d’un bien, mais ont l’argent pour l’acheter) atteint sa limite, la production restante ne peut pas être acquise par ceux qui en ont besoin mais qui n’en n’ont pas les moyens, et le marché se retrouve inondé par un excédent invendable qui provoque la faillite d’entreprises, les licenciements massifs, la diminution de la consommation et la paralysie de l’appareil productif.

7.


La production ne peut donc être réactivée qu’à travers une intervention de l’Etat qui, avec des mesures politiques, crée une demande de biens non destinés au marché. Les plans keynésiens d’investissement public, les grands travaux comme les autoroutes fascistes, les barrages du New-Deal de Roosevelt apaisent la situation mais ne la résolvent pas.


8.


Il faut donc produire des biens qui ne saturent pas la marché parce qu’ils sont destinés à être détruits avec ceux qui les utilisent : fusils, tanks, bombes. Pour faire revivre le cadavre du capitalisme il faut tuer des êtres humains.


9.


L’Allemagne et l’Italie ont remonté leurs crises d’après-guerre grâce à une course à l’armement qui les entraina directement à la Seconde Guerre Mondiale. Les Etats-Unis ont contourné le crash de 1929 avec de grands investissements en programmes sociaux et travaux publics, mais son économie seulement ressuscita quand le conflit planétaire lui permis d’activer ses industries pour produire de l’armement et recruter ses chômeurs comme soldats.


10.


Il fut seulement possible de sortir de la crise post- seconde guerre mondiale à partir de 1950 et la guerre de Corée qui, à son tour, entraina une récession à peine remontée par la guerre du Vietnam, qui elle-même atténua à peine le gaspillage inutile de la Guerre des Galaxies, après laquelle commença une autre dépression que ni les guerres du Golfe, ni celle du Kosovo, ni celle d’Afghanistan ou d’Irak n’ont pu apaiser.


11.


Les Etats-Unis, première économie du monde capitaliste, responsable de près du quart du Produit Intérieur Brut mondial, sont les premiers frappés para la crise : entre le dernier semestre de 2008 et le commencement de 2009 sa production industrielle à décru de 11%, ses exportations ont baissé de 22%, sa consommation de biens durables s’est contracté de 22% et celle de biens non-durables de 7%, son PIB descend à un taux de 3.8%, et baisse de plus de 5% si l’on décompte les inventaires. En mai 2008 le chômage monte à 11% tandis que le prix du logement a baissé de 10% l’année dernière (Bernstein, Jorge : « Acople Depresivo Global », ABP, 20-1-2009). 3 600 000 étatsuniens perdent leur travail ; l’Organisation Mondiale du Travail calcule que, pour la fin de l’année 2009, 50 millions d’emplois supplémentaires vont disparaitre dans le monde. Le nouveau directeur de l’Intelligence Nationale, Dennis C. Blair, déclare que la crise est la plus grande menace pour la sécurité des Etats-Unis devant le terrorisme (Nelson D. Schwartz : « Empleos alterados », The New York Times, 21-2-2009, p.3).


12.


La dernière carte à jouer pour les Etats-Unis est celle de la suprématie militaire. Son Economie n’a pu éviter la crise, ni même avec ses exorbitantes dépenses militaires de 623 000 000 000 dollars en 2007, supérieure au reste de la planète, avec lesquelles elle maintient 800 bases militaires, 9 flottes et une alliance avec l’Otan et l’Union Européenne. L’empire a désespérément besoin de prétextes pour augmenter la production d’armement et, grâce à cela, activer ses industries, employer des ouvriers et occuper les recrues à détruire des pays.


13.


Les proies ne manquent pas. Le système industriel actuel fonctionne à travers du pétrole ; dont les réserves sont décroissantes et ne dureront probablement pas plus de 50 années supplémentaires, Depuis la moitié du siècle passé, avec la déstabilisation des pays pétroliers, l’appui à Israël, l’agression contre la Lybie, l’incitation au conflit entre l’Irak et l’Iran, l’invasion de l’Afghanistan, l’intervention dans le coup d’Etat et le sabotage pétrolier au Venezuela, l’invasion en Irak, la menace persistante contre l’Iran et l’escarmouche en Ossétie, les Etats-Unis sont impliqués dans une incessante guerre dont l’objectif est le pillage et le contrôle de l’énergie fossile du monde.


14.


Pendant que les émissions de gaz à effet de serre des pays développés altèrent le climat et provoquent la crise alimentaire, les Etats-Unis commencent une autre guerre à travers du plan « Puebla Panama » et du plan « Colombia » pour le contrôle des hydrocarbures et de l’eau, de la biodiversité et des terres cultivables d’Amérique Centrale, de l’Amazonie et de l’Amérique du Sud à fin de les utiliser pour la production de biocombustibles au lieu de la production alimentaire. Et depuis 2003, le Sous-secrétaire d’Etat pour le Contrôle des Armes et de la Solidarité Internationale prend les devants de l’initiative de Sécurité contre la prolifération, un blocus naval qui prétend réunir 1000 embarcations de guerre pour priver de communication les pays indociles, et dont la réactivation de la IVème flotte n’est qu’un aspect.

15.


Cette perpétuelle subordination face aux impératifs de l’économie de guerre provoque la perte de contrôle de la société et de l’appareil politique des Etats-Unis face au Complexe Militaire Industriel et ses appareils de sécurité, que les Lois Patriotes excluent de tout contrôle juridictionnel. Comme l’a déclaré le représentant démocrate de Californie Brad Sherman, les astronomiques aides financières ont été approuvées parce que « à certains d’entre nous on a été jusqu’à nous dire qu’il y aurait loi martiale aux Etats-Unis si nous votions contre » (Peter Dale Scout : « El rescate financiero de Paulson », Rebelión, 13-01-2009). Dans sa lettre à Obama, le prix Nobel Pérez Esquivel considère « préoccupant que l’une des premières mesures de son gouvernement ait été d’ordonner des bombardements en Afghanistan, tuant des civils, comme l’informe le journal pakistanais The News (25-1-09), sous prétexte que ce sont des terroristes, et décider d’envoyer 30 000 soldats supplémentaires pour défendre la démocratie. » L’armée traditionnelle exerce une pression démesurée contra la privatisation de la guerre à travers de compagnies comme Blackwater. Alors qu’ Obama offrait, en juillet 2008, un retrait rapide d’Irak, le New York Times a révélé le 4 décembre que le Pentagone planifiait de maintenir 60 000 soldats là-bas « pour une longue période, y compris après 2011 ». En conservant le Secrétaire de la Défense Robert M. Gates, adversaire du plan de retrait, Obama renonce à son pouvoir de décision sur la prolongation de la guerre. Ou sur le commencement d’une autre.

16.

Les Etats-Unis veulent emporter dans leur sépulture le reste de la planète. La croissante économie chinoise, l’expansion économique de l’Inde et du Pakistan, la Russie agressée, l’Iran menacé, les tigres de l’Asie, l’avancé Japon ne se résigneront pas à une confiscation unipolaire de l’énergie fossile, sans laquelle le monde ne fonctionnerait pas. Pour désamorcer cette diabolique dynamique, il faut destituer le capitalisme.






Texte de Luis Britto Garcia
Traduction par R. V. (me contacter pour éventuelles améliorations)
Pour voir la version originale cliquez ici

1 commentaire:

  1. hello Romain,
    Félicitation pour la traduction, elle est bien. Juste un suggestion, au point 15, peut-être pourrais tu traduire "carta" par "lettre" ?
    Et, c'est assez vraisemblable l'analyse de Luis Britto, cependant au point 7, à la fois c'est un peu vrai et à la fois c'est un peu faux. La pensée de List concernant les travaux est intéressante ainsi que la conception de la richesse sous tendue (voir les indicateurs de Jean Gadrey)
    Un abrazo fuerte, cuidate !
    Guy

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