3 juil. 2011

L'Axe du Pacifique contre la Communauté d'Etats latino-américains et des Caraibes




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Les analystes impériaux doivent étudier la Communauté des Etats Latino-Américains et des Caraïbes avec déplaisir, préoccupation et confusion. Cette union colossale de 38 pays, qui exclue les Etats-Unis et la Canada, comprend 550 018 000 habitants distribués sur 20 446 902 km2, et la majorité de ses présidents sont de gauche ou pour le moins progressistes : Cristina Kirchner en Argentine, Evo Morales en Bolivie, Dilma Roussef au Brésil, Raúl Castro á Cuba, Rafael Correa en Equateur, Leonel Fernández en République Dominicaine, Álvaro Colom au Guatemala, Daniel Ortega au Nicaragua, Fernando Lugo au Paraguay, Ollanta Humala au Pérou, José Mujica en Uruguay, Hugo Chávez Frías au Venezuela, beaucoup des pays antillais et de Guyane. Ils administrent l’immense majorité de la population, du territoire et du Produit Brut d’Amérique Latine et des Caraïbes.

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Toute thèse génère une antithèse; toute action une réaction. Face à l’UNASUR se présente l’Alba, face á la Communauté les Etats-Unis opposent un Axe du Pacifique décharné, dont l’orientation des gouvernements n’est pas due à la volonté démocratique de ses peuples mais à des exterminations massives soutenues par les Marines. En 1973 Pinochet a annihilé l’Unité Populaire chilienne par un coup d’Etat sponsorisé par Kissinger. López Obrador soutient que l’actuel gouvernement mexicain a surgit d’une fraude électorale. Le président hondurien Lobo vient d’un putsch soutenu par la base de Palmasola. Dans la république sœur de Colombie l’invasion des bases yankees et le plan Colombia pèsent abominablement avec des chiffres record de violation des Droits de l’Homme qu’il serait long de détailler. Entre 1990 et 2000 le japonais-péruvien ou péruvien-japonais Alberto Fujimori a dissout le Congres et exterminé l’opposition socialiste lors d’un génocide massif sans commune mesure. Le souvenir de ce bain de sang a peut-être déterminé la défaite de sa fille Keiko par les survivants. Beaucoup de gouvernements caribéens ou d’Amérique Centrale alignés avec les Etats-Unis proviennent de coups d’Etats ou de génocides de même magnitude. Le néolibéralisme entre avec le sang.

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550 millions de latino-américains et caribéens nourrissent des nuances et distillent des relativismes. Tout progressiste qu’il soit, Fernando Lugo ne peut pas grand-chose contre les forces conservatrices enkystées au Paraguay. Le pouvoir de Cristina Kirchner est très relatif contre les oligarchies argentines ; celui de Pepe Mujica est faible face á la ploutocratie uruguayenne, et celui de Dilma très ténu sur ce continent que l’on appelle Brésil. Une bataille encore plus difficile attend celui qui a rompu la colonne de l’Axe du Pacifique avec un avantage électorale de 3 points : Ollanta Humala. Il hérite d’un Traité de Libre Commerce avec les Etats-Unis similaire à celui qui a ruiné le Mexique. Le Pérou néolibéral du japonais Fujimori et d’Alan García a donné de grands dividendes aux transnationales aux dépens du peuple. En 2009, 34,8% de la population du Pérou est pauvre ; son indice de Gini de 49,6 reflète de grandes inégalités ; les 10% les moins favorisés de la population accède seulement à 1,5% des revenus nationaux alors que les 10% les plus favorisés accaparent 37,9%, les dépenses en éducation du pays sont d’ à peine 2,7% du PIB et la dette extérieure de 33,4 milliards de dollars US. C’est le second exportateur de cocaïne dans le monde ; son gouvernement néolibéral a reconnu que 17% de son PIB provient de cette source. Oscar Ugarteche souligne que les péruviens ont une participation salariale de 22% du PIB contre 45% au Chili et 40% au Brésil, et que le seul autre pays avec une participation salariale si basse est le Mexique où elle a chuté de 40% á 29% du PIB (El triunfo de Humala y el nuevo horizonte. Rebelión, 6-6-2011).

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Repassons donc le pour et le contre qui pèsent sur Ollanta Humala: ce sont les mêmes qui gravitent autour de l’Amérique Latine. Son avantage électoral n’est pas tranchant, mais le précaire front tramé par Keiko Fujimori sous les auspices de l’ambassade étasunienne ne l’est pas non plus. Humala a contre lui le patronat, les médias de communication, une partie de la hiérarchie ecclésiastique et le Département d’Etat : ce fut aussi le cas du Venezuela pendant 11 ans et regardez où nous sommes aujourd’hui : Il se peut qu’une partie de l’Armée soit contre lui, mais la majeure partie a soutenu la nationalisation de l’industrie pétrolière du General Velasco. Il ne compte pas avec autant de réserves que le Venezuela, mais il a d’importantes exportations d’or, de cuivre, de molybdène, de fer, d’hydrocarbures, de produits végétaux et de poisson pour un total de 35,560 milliards de dollars en 2010 : mais une petite partie de ce produit seulement arrive jusqu’au peuple. La redistribution de ce revenu entre les masses peut cimenter un consensus imbattable. Humala n’a pas toutes les cartes, mais il en a plus que l’oligarchie péruvienne, et infiniment plus que l’Empire en Amérique Latine.

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Car, alors que l’Axe du Pacifique se fragmente, l’Empire se noie sous une dette externe équivalente a son PIB, et s’est fait gronder il y a peu par la Chine, maussade, pour avoir proposé un « moratoire technique » sur ce passif. Il s’effondre sous le poids de quatre désastreuses guerres de pillage pétrolier et le rejet du peuple (« 56% des votants croient que les Etats-Unis vont dans la mauvaise direction et seulement 35% pensent que le pays va sur le bon chemin… ») (http://mexico.cnn.com/mundo/2010/07/19/encuesta-la-aprobacion-de-la-gestion-de-barack-obama-va-en-descenso).

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Ce n’est pas le moment de faiblir, ni de se dissocier de l’accablante majorité latino-américaine et caribéenne en chemin vers le futur socialiste, pour s’attacher le cou à la roue du moulin de la collaboration avec le terrorisme d’Etat néolibéral et putschiste. Il est interdit de se suicider au printemps.


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Texte et photo de Luis Britto García
Traduit par R.V. avec l'accord de l'auteur
Texte orginal a cette adresse: http://luisbrittogarcia.blogspot.com/2011/06/eje-del-pacifico-contra-comunidad-de.html