18 avr. 2010

GUERRES DE l'EMPIRE




Désormais l’Empire affine la perfidie de ses guerres en allant encore plus loin que l’annihilation. Des guerres mnémoniques, dont les rayons enlevent au peuple envahi sa mémoire de peuple, le laissant ainsi l'esprit vide. Des guerres dissociatives qui annulent les forces d’attraction entre les molécules et convertissent la nation victime en un tourbillon de microparticules. Des guerres qui tuent les gens, qui pulvérisent la chair et laissent le pays comme une ruche vide. Des guerres qui tuent les choses, tout en laissant les gens intacts dans une fosse immense qui fut un jour leur patrie. Des guerres associatives qui obligent les cerveaux à inverser leurs réactions et à, au lieu de courir pour se sauver, avancer vers la mort. Des guerres mutagènes qui obligent chaque organisme à se transformer en l’espèce qu’il chasse. Des guerres gériatriques qui activent le gène du vieillissement et en quelques heures décrépissent l’ennemi. Des guerres récessives qui inversent le cours du temps et renvoient les combattants dans le ventre maternel. Des guerres chronologiques qui éternisent la durée du temps et font que la réponse des envahis tarde des siècles. Des guerres communicatives qui confondent aléatoirement les communications de façon à ce que personne ne sache ce qui se passe. Des guerres psychologiques qui convainquent l’ennemi qu’il est déjà mort. Des guerres tectoniques qui rendent la superficie perméable au magma brûlant des entrailles de la terre. Des guerres de désertification qui évaporent toute l’eau vers l’espace extérieur. Des guerres concausales qui dissocient la cause de l’effet de façon à ce que tout puisse arriver sans aucun motif. Des guerres énergétiques qui coutent plus d’énergie que les réserves qu’elles conquièrent. Des guerres de confusion qui empêchent à l’être humain qui attaque de se distinguer de l’être humain attaqué et font qu’il s’agresse lui-même.

GENRE

La guerre est déclarée entre féministes et machistes. Les féministes attaquent en usurpant aux machistes leurs principaux défauts : boisson, tabac, promiscuité. Les machistes contre-attaquent en légalisant le divorce. Les féministes répondent en s’accaparant les professions abominables comme la littérature, le droit, la magistrature, la politique. Les machistes répondent à leur tour en monopolisant des professions encore pires comme couturiers, stylistes, décorateurs. L’holocauste arrive à son point culminant lorsque chaque faction comprend qu’il est devenu ce qu’il déteste. Une délégation de chanteurs de boléros est envoyée pour se rendre. Une équipe de physio-culturistes est envoyée pour les recevoir. Nous attendons angoissés sans savoir si elles les étrangleront ou si elles deviendront de nouveau coquettes.

LA RÉVOLUTION

Une révolution silencieuse est prête à éclater dans le langage. Le linguiste Linguini dénonce le fait qu’il y a des mots dominés, que les stylistes caractérisent comme plébéiens de par leur nombre et leur condition d’outils. Ils sont tyrannisés par les mots dominants, prestigieux, académiques et généralement indéchiffrables, autrement dit inutiles. Les oppresseurs ont tendance à s’organiser en circonlocutions, périphrases, lieux communs et digressions pour occulter leur appropriation illégitime de la richesse du sens. Les mots dominés, dans leur vive ingénuité, tombent toujours dans le piège des constructions grammaticales où les dominants les enferment. De temps en temps un mot poétique casse les barrières et étend le feu de l’insurrection dans la langue. On sait que le mot est poétique par le goût avec lequel les langues le savourent. La police grammaticale tente de le tuer ou de l’arrêter aux douanes de la langue. Les prosodies de terrorisme taxent la voix qui dit. Les conséquences sont terribles car quand le mot se libère, tout le reste le suit. Voix du monde, rejoignez-nous. Vous n’avez rien à perdre, sauf votre syntaxe.

LE JEU DE LA VIEILLESSE

La Terre et l’Univers sont très vieux mais personne ne savait quand allait commencer la vieillesse proprement dite. Tout à coup la Terre commence à se rider, beaucoup de nouvelles chaines montagneuses apparaissent et personne ne sait pourquoi. Les cheveux des sommets blanchissent, les dents des montagnes tombent* et les tremblements de terre intermittents deviennent quasi ininterrompus. Il y a des inondations et personne ne sait si la terre pleure ou bave. Soudain, elle commence à perdre l’œil dans la course de son orbite. La mémoire penche. Il n’y a plus de fossiles dans les strates archaïques ni de souvenirs dans les cerveaux. Les plus énergiques préparent les navires pour l’Exode vers des mondes juvéniles où les temps passés ne sont pas encore les meilleurs. C’est alors que l’on découvre que le Soleil commence à être gâteux.


INSTANT

Enfant il rêve d’emplir les instants de jouets, de merveilles, de home-runs. Jeune, d’amours, de révolutions, d’ascensions. Tant de temps après il commence à les vider de tout, puisque tout ce que l'instant contient le rend opaque. A la fin il en arrive à contempler chaque instant chaque fois plus dépouillé, quasi dans son resplendissant vide. Quand il y arrivera, il n’aura plus besoin d’instants.



* jeu de mot: sierra = chaine montagneuse mais aussi scie
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Toutes les entrées contenues dans ce blog sont traduites par R.V., avec l'autorisation de l'auteur Luis Britto Garcia.

Article original en espagnol ici

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