24 févr. 2010

L'Amérique latine et le mouvement des non-alignés




Tout comme la conquête de l'Amérique, à partir de 1492, fut la plus grande opération de colonisation jamais entreprise, son Indépendance fut une des plus importantes gestes de décolonisation. C'est la soumission puis la libération de tout un continent et un hémisphère terrestre par rapport à quatre puissances européennes. L'apport économique de cette opération de pillage a été décisif pour le destin de l'Europe et du monde. Les flots de métaux précieux, ainsi que les produits végétaux qui les ont accompagné, décidèrent de l'hégémonie de l'Espagne durant deux siècles, la déroute des musulmans en Europe, la mise en place du capitalisme comme mode de production dominant et les hégémonies successives des empires qui, à travers le commerce et l'expansion globale et violente, prirent la relève de l'Espagne.

L’IMPÉRATIF DE L’UNITÉ

Après les indépendances américaines, les pays libérés comprirent, comme le feront par la suite les pays non alignés, la nécessité de l'unité pour maintenir leur autonomie et cimenter la coopération mutuelle. Les colonies anglaises établirent la puissante union que l'on connait comme Etats-Unis. Les libérateurs latino-américains ont toujours pensé l'indépendance comme une entreprise continentale. Des troupes venues des plaines du Venezuela et de la pampa argentine gagnèrent à Ayacucho. Bolivar a libéré ce qui forme aujourd'hui 6 pays. Avec 3 de ces pays il constitua l'énorme bloc de la Grande Colombie, et déjà en 1826 il tenta de consolider une union entre les peuples latino-américains lors du Congrès de Panama. Cette union devait servir de muraille contre les tentatives de reconquête comme ceux planifiés par la Sainte Alliance, créer un espace pour la collaboration économique et constituer un centre géopolitique de première importance grâce au canal de Panama, que Bolivar pensait déjà à construire. Les 2 grands projets de consolidation rencontrèrent des destins opposés. Les Etats-Unis préservèrent leur union, se répandant aux dépens de leurs voisins et en prenant le chemin qui les mènera à être la première puissance mondiale. L'Amérique Latine se divisa, fragmentant ce qui avait été 5 royautés jusqu'à les convertir en 25 pays, dont la faiblesse a permis qu'ils furent de nouveau dominés.

L’ÉMANCIPATION POLITIQUE ET LA DÉPENDANCE ECONOMIQUE

En Amérique Latine est apparut la seconde conviction que partagent les pays non alignés: qu'après avoir lutté pour l'émancipation politique, il faut lutter pour l'émancipation économique, stratégique et culturelle. Nos pays ont payé leurs Indépendances avec des dettes extérieures destructrices qui ont hypothéqué notre futur. Haïti a du indemniser les anciens propriétaires d'esclaves avec l'équivalent de 20000 millions de dollars actuels. La Grande Colombie a commencé sa vie indépendante avec une dette de 10 millions de livres sterling, qui fut divisée quand la grande union se fragmenta en 3 pays. Les Etats-Unis ont choisi le protectionnisme comme chemin invariable vers le développement économique. L'Amérique Latine, au contraire, a souscris des traités de libre commerce avec des pays plus développés, ce qui l'empêcha de protéger ses industries et ses exportations mais ne mis pas de frein au protectionnisme dissimulé des grandes puissances. Pour la naissante Amérique Latine, l'Indépendance politique équivalait, comme ce fut le cas par la suite avec de nombreux pays non alignés, à une rotation de métropoles.

LES ETATS-UNIS, DE COLONISÉS À COLONISATEURS

L'Amérique Latine fut le prélude de la troisième situation possible pour les pays non alignés: certaines colonies libérées peuvent à leur tour se convertir en pays dominateurs face à d'autres Etats libérés de la colonisation. L'Amérique Latine et les Caraïbes furent sujets durant une grande partie du 19ème siècle aux hégémonies et même aux invasions de la France, la Hollande et l'Angleterre. Mais depuis la fin de ce siècle les Etats-Unis, à travers la doctrine Monroe, tente de se réserver l'hémisphère comme une sorte d'empire soumis à sa tutelle économique, politique et stratégique. Cette hégémonie a été imposée par une cinquantaine d'interventions armées, et régie par des organisations comme l'Union Panaméricaine depuis 1899, ou l'Organisation des Etats Américains depuis 1945. C'est aussi depuis cette date que nos pays se sont obligés, à travers le Traité Interaméricain d'Assistance Réciproque, à s'envahir militairement en cas de supposée agression "extracontinentale", qui serait prouvée par l'inclination du pays victime vers une politique socialiste. On peut vérifier cette situation par le fait qu’à la conférence de Bandung en 1955, aucun pays latino-américain n’était présent. L’Amérique Latine et les Caraïbes paraissaient être « L’arrière Cour » des Etats-Unis.

L’AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES DÉFIENT L’HÉGÉMONIE

Dans ce panorama, 2 ans à peine après la conférence de Bandung, un autre point fondamental de l'agenda des Non alignés apparait: des petits pays non alignés et non développés économiquement peuvent défier l'hégémonie avec succès, y compris celle de la plus grande puissance économique et militaire de la terre. Depuis 1959, Cuba nous enseigne comment donner de la cohésion à un peuple pour résister aux interventions militaires directes et à un embargo indéfini, en s'appuyant sur le jeu bipolaire mais sans céder à aucune souveraineté. Après de nombreuses tentatives, qui dans de nombreux pays sont étouffées par l'intervention ouverte ou dissimulée des Etats Unis, une révolution socialiste triomphe aussi au Nicaragua, une insurrection invincible persiste en Colombie, et au détour du siècle les victoires électorales portent au pouvoir des mouvements proclamés socialistes au Venezuela, en Bolivie et en Equateur, et à des candidats progressistes au Brésil, Paraguay, Uruguay, Argentine et Honduras. Des pays comme le Venezuela, la Bolivie et l'Equateur récupèrent le contrôle total sur les industries qui exploitent leurs ressources naturelles, et mettent en place des politiques de dépenses publiques, alphabétisation et éducation et santé gratuites. Le projet étasunien de Zone de Libre Commerce des Amériques (ALCA) est complètement vaincu, alors que le Mercosur se fortifie. L'Union des Nations Sud-Américaines est crée, ainsi que des institutions comme le conseil sud-américain de Défense, la Banque du Sud, pour remplacer la Banque Mondiale et le FMI, et le Sucre, le Système Unifié de Compensations de Réserves. L'aliénation préalable est brisée; à tel point que le Sommet 2006 du Mouvement des Non Alignés a lieu à La Havane, et actuellement les pays suivants, latino-américains et caribéens, sont membres du mouvement: Antigua y Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Chili, Colombie, Cuba, République Dominicaine, Equateur, Grenade, Guatemala, Guyane, Haïti, Honduras, Jamaïque, Nicaragua, Panama, Pérou, Saint Vincent et les Grenadines, San Cristobal , Sainte Lucie, Suriname, Trinité et Tobago, Uruguay et Venezuela.

Le Venezuela, à travers l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour l’Amérique) propose une nouvelle alliance basée sur la collaboration mutuelle et l’intégration régionale et non pas sur l’intérêt économique, et ouvre le pas à une nouvelle politique multipolaire orientée vers la collaboration du Sud avec le Sud, vers le G-77, vers les marchés africains et asiatiques et les intégrants du MNOAL.

L’UNIPOLARITÉ CONTRE-ATTAQUE

Les Etats-Unis répondent avec une politique agressive de Coup de Gourdin : ils mobilisent la IVème flotte dans les Caraïbes, ils établissent 2 bases militaires à Curaçao et Aruba, 7 bases en Colombie et 2 supplémentaires au Panama, ils favorisent et légitiment un coup d’Etat au Honduras, financent l’opposition des gouvernements progressistes et occupent militairement Haïti. Une fois de plus, ils tentent de résoudre militairement des problèmes économiques, sociaux, politiques et culturels qu’ils ne savent pas gérer.

LES NON ALIGNÉS RÉPONDENT

Les considérations antérieures ratifient la validité de l’idée qui anime le Mouvement des Non Alignés. La chute du monde bipolaire nous montre que la diversité de cultures et d’Etats est toujours en vigueur. La situation précaire de beaucoup des pays décolonisés face aux grandes puissances, qui prétendent toujours exercer leur pleine hégémonie et ne se résignent pas au concept de monde multipolaire, requiert une union qui permette d’échanger des points de vue, de concevoir des stratégies et d’affirmer le droit à la survie, à l’indépendance et à la souveraineté de l’immense majorité des pays et des habitants de la planète.



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L'article original en espagnol est ici

Traduit avec l'autorisation de l'auteur

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