21 sept. 2009

La Science que nous voulons




1.

Quels scientifiques voulons-nous? Que science voulons-nous? C'est une question aussi basique et difficile que de nous demander quelle vie nous souhaitons. Mais peut-être est-ce la même question ? Nous aspirons à une existence infinie qui embrasse tout; nous sommes condamnés à une autre existence, transitoire et confinée à des options limitées. Notre choix d'un projet de vie ou de science est déterminé par les modèles que nous souhaiterions imiter, mais aussi par nos capacités, l'environnement, les opportunités et les biens dont nous disposons.

2.

Kant affirme que l'Histoire est le processus de réalisation de la potentialité de l'homme. Je veux tous les scientifiques et toute la science que nous pourrions avoir. La connaissance nous constitue en tant qu'êtres humains. Nous voulons une société la plus humaine possible, dans laquelle la majorité des habitants et des ressources soient dédiés à la connaissance. Le problème du chercheur, ou de celui qui met en place une politique scientifique, est similaire au problème auquel l'économiste fait face: établir la relation optimale entre les besoins et les biens avec lesquels ces besoins peuvent être satisfaits. Les nécessités économiques sont potentiellement infinies. C'est aussi le cas des problèmes à élucider pour la science. Cela requiert l'établissement d'une hiérarchie aussi bien entre les nécessités qu'entre les biens.

3.

La Science ne se produit pas dans le vide. La société met à disposition du scientifique du temps pour ses travaux, des instruments, des récompenses. Mais même le chercheur fait face à une restriction des options. Il ne peut pas choisir toutes les disciplines à la fois. A l'intérieur d'une discipline il ne peut pas non plus traiter toutes les spécialités ni tous les problèmes. Le problème de la relation entre fins et moyens est partagé par tous les chercheurs et toutes les sociétés. Comment les sociétés établissent-elles cette relation? Sur ce sujet Oscar Varsavsky signale que "il n'est pas possible d'avoir une politique éducative cohérente - universitaire ou non - si ce n'est dans le cadre de référence d'un Projet National à long terme, avec des caractéristiques idéologiques et des objectifs concrets bien définis (Hacia una política científica nacional 2006,64). Les projets nationaux régissent les politiques éducatives et scientifiques dans la mesure qu'ils déterminent l'assignation des ressources.

4.

De telles politiques devraient comprendre la préservation et la conservation de la connaissance et de ceux qui la créent. Elles devraient inclure des normes pour protéger les savoirs traditionnels accumulés et les codes génétiques des espèces endogènes face aux brevets et aux intérêts étrangers. Elles devraient stimuler les scientifiques formés dans le pays à poursuivre leur carrière ici. Carlos Lage affirme que "Un million de scientifiques et de professionnels formés en Amérique Latine, pour un coût de 30 milliards de dollars, vivent aujourd'hui dans les pays développés et nous devons payer pour leurs innovations et apports scientifiques, ou nous en passer." (Lage 1999, cit. por Martínez Enríquez, “La globalización neoliberal y la libertad de movimiento: paradojas conceptuales y prácticas” 2006, 145)

5.

L'Amérique Latine et les Caraïbes sont loin d'appliquer toutes leurs capacités de recherche scientifique de manière optimale pour répondre à leurs problèmes les plus urgents. Une malédiction semble éloigner l'impartialité scientifique de la pauvreté humaine. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) informe qu'actuellement seulement 10% des dépenses totales en recherche et développement de médicaments est dirigé aux maladies des 90% de la population la plus pauvre. (PNUD 2003,12). Jean Ziegler note que les pays du Tiers Monde, qui représentent 85% de la population de la planète, représentent seulement 25% du marché pharmaceutique. Il ajoute qu'entre 1975 et 1996 les grands laboratoires pharmaceutiques ont développé 1223 nouvelles molécules, dont seulement 11 sont applicables au traitement de maladies tropicales. Une telle négligence est d'autant plus nocive que des maladies comme le paludisme, la tuberculose, la maladie du sommeil et la fièvre noire, qui avaient quasiment disparu entre 1970 et 1980 grâce aux campagnes d'organismes comme l'Organisation Mondiale de la Santé, ont ressurgi, de telle façon qu'en 2001 la maladie du sommeil a tué 300 000 personnes, la tuberculose 8 millions, et que toutes les 30 secondes un enfant est mort de paludisme (Los nuevos amos del mundo 2003, 73).

6.

Le PNUD signale aussi que la recherche agricole est sous-équipée, parce que beaucoup de pays à revenus faibles utilisent à peine 0,5% de leur PIB agraire à la recherche agricole, et l'utilisent pour des projets sur les cultures à forte valeur commerciale et sur les terres de meilleure qualité; alors que pour que cette recherche favorise les producteurs pauvres de terres marginales, elle devrait être centrée sur des projets comme les systèmes de multicultures, l'agriculture écologique, les variétés de graines de maturation précoce et les méthodes économiques de maturation du sol (PNUD 2003, 104). Pour ces raisons le PNUD conclue que "Etant donné que la majeur partie des efforts scientifiques ne tiennent pas compte des nécessités des pauvres, il est fondamental que la communauté scientifique internationale - avec à sa tête les laboratoires nationaux, les organismes de financement scientifique nationaux et les fondations privées - travaille avec des groupes de scientifiques dans les pays pauvres pour identifier les objectifs prioritaires en matière de recherche et développement et augmenter considérablement le financement" (PNUD 2003, 24).

7.

Quelles sont les garanties qu'une politique scientifique est correcte? La recherche est un pari contre l'inconnu; toute politique qui essaye de l'organiser doit se résigner à faire face à un certain degré d'incertitude. Tout processus cognitif à comme objectif, précisément, la réduction des incertitudes. Chaque société expose les problèmes qu'elle veut résoudre, leur assigne des priorités et des ressources et les aborde avec son style propre. La société influence la science. Mais la science influence aussi la société.

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La version originale de cet article se trouve ici

Traduit par R.V. avec l'autorisation de Luis Britto García

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