12 juil. 2009

Art et crime


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Honoré de Balzac proclamait qu’au commencement de toute grande fortune il y a un crime. C’est aussi le cas au commencement de toute esthétique. Fripouille et voyous ont été sujets des arts par excellence. Plus Samson ou Achille éliminaient leurs prochains, plus jolies étaient les statues. Les mythologies sont un manuel de tous les délits que l’on pouvait commettre avec les armes de l’Âge de Bronze. Je ne parle même pas des Livres Sacrés, car ils dépassent la moyenne de faits punissables par page. La seule façon pour que les assassins ne traitent pas l’art comme un délit, c’est d’élever le délit à la catégorie d’art.

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Plus grand est le génocide, plus émouvant est l’art qui le célèbre. En matière de crime, la quantité est synonyme de qualité. A travers le gaspillage la crapule montre que ce qu’il dilapide ne lui a pas couté de travail. Les Pyramides, la muraille de Chine, sont des expositions permanentes de travail volé. Le Colysée, fausse commune où des milliers de malheureux s’égorgeaient pour la joie de millions de parasites. Le mortier des grandes œuvres architecturales est le sang de ceux qui les ont érigé. Quand le Taj Mahal fut terminé, on arracha les yeux de l’architecte afin qu’il ne puisse pas créer une œuvre comparable. Ce fut peut-être pieux, si l’on tient compte des morts qu’aurait couté la réplique. Plus de 5 millions d’indigènes ont péri dans les nid-de-poule du Potosí pour financer la splendeur de l’Europe. Pas même l’utilité n’excuse l’hécatombe. Le canal de Suez est la sépulture de centaines de milliers d’esclaves ; celui de Panama de millions d’ouvriers. Les grands musées sont des exhibitions de butins pillés à d’autres cultures.

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S’il y a des doutes quand au caractère rationnel de l’esthétique, il suffit de contempler son adhésion adulatoire au Pouvoir en place. Les pétroglyphes et les peintures rupestres représentent des humanités anonymes. L’assassinat de masse et le portrait de son auteur sont inventés en même temps, et l’importance de chacun est en général équivalente. Comme preuve, la glorification du hors la loi comme conquistador de l’Araucanie, l’évocation du pirate comme un aventurier vaurien dans l’Ile au Trésor et comme bouffon dans Peter Pan. Au temps des nations barbares, les fripouilles avaient l’habitude de porter tout leur butin sur eux, au cas où il devait partir en courant. C’est de là que vient la surcharge de décoration des lignages et noblesses. La quincaillerie des costumes des oligarques disparu à peine face a la détestable sobriété du milieu du 19éme siècle, quand, face au pillage généralisé, il était plus prudent de cacher ses actifs à la banque, ou ils ne tardaient pas à disparaitre entre les mains de la plus dangereuse crapule connue, le banquier.
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Proudhon postule que la propriété est un vol. Toute irrésistible ascension économique est suspecte. Ni l’argent ni le pus n’apparaissent seuls : les 2 se manifestent à partir d’une infection. Par conséquent, le bandit tend à passer pour un héros au sein d’une société de voleurs. Les exploits supposés de Jesse James, Billy The Kid, Doc Holiday, Billy Wild Hickock et Pat Garret sont célébrés par la même presse qui exaltait le pillage de la moitié du territoire mexicain, l’invasion de Cuba, l’annexion de Puerto Rico et des Philippines et l’occupation de Panama et de la Colombie. Scott Fitzgeral sublima dans « Gatsby le magnifique » la tragédie du Gangster qui, après avoir extorqué l’argent des malheureux, est interrompu par une balle alors qu’il essayait de l’utiliser pour s’acheter un statu. Ce rêve littéraire devient réalité avec la consécration du glamour Kennedy, quand les tueurs prennent d’assaut publiquement la Maison Blanche et l’occupent jusqu'à ce que la précision des balles d’un ou plusieurs collègues impose l’ordre du secret. Le vieux Joe Kennedy, parrain de la bande, fut un gangster notoire enrichi par la contrebande de liqueur, industrie honorable dont il lava les intérêts libres d’impôts dans la deuxième moins honorable industrie du monde, le commerce cinématographique, et investit dans l’achat d’un poste d’ambassadeur en Angleterre, d’où il pu promouvoir avec plus de liberté son idéologie fasciste et la carrière politique de son fils John.
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La campagne électorale de John Kennedy est impulsée par le « Rat Pack » : Frank Sinatra, Dean Martin, Sammy Davis Jr. y Jerry Lewis, groupe de protégés de Las Vegas (Disneyland du mafieux) qui couronne la réduction d’une lutte électorale a l’idéologie du night-club. Une fois au pouvoir, Jack bat les records de banditisme à grande échelle en essayant d’attaquer Cuba avec un gang de mercenaires et de crapules à son solde. Une fois ces mercenaires vaincus, et selon la mentalité des casinos de Las Vegas, l’annihilation de l’humanité se joue sur une seule carte lors de la dénommée Crise des Fusées. Vaincu de nouveau lors de cette crise, il laisse comme héritage impérissable à son pays la Guerre du Vietnam, dans laquelle ce n’est pas lui qui sort vaincu, mais les Etats-Unis. Cette histoire d’amour et de douleur est interrompue de façon prévisible lorsqu’une balle en finit du protagoniste et une autre encore plus précise tirée par le mafieux Jack Ruby scelle les lèvres du témoin clef : drame représentatif d’un pays ou les bandits font et défont les présidents et les styles esthétiques.

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Ainsi, de la même façon que David Rockefeller a détruit une peinture murale de Diego Rivera pour son excès d’idéologie et a promu l’expressionisme abstrait pour son manque de celle-ci, les malfaiteurs les plus notoires des Etats-Unis font de Las Vegas une raison d’Etat. Ainsi, de la même façon que le cowboy Reagan négocie des drogues pour attaquer l’Iran et le Nicaragua, Clinton convertie la Maison Blanche en gymnase du harcèlement sexuel et Bush père et fils en garderie de banquiers voleurs de pays. Le style Casino, l’éblouissement pour les Cadillac noires, les paillettes, les annonces lumineuses, le chrome, le petit déjeuner livré dans la chambre avec les blondes platines, les casinos gérés comme des Bourses de Valeurs et les Bourses de Valeurs gerées comme des tripots, les centres commerciaux, les gouvernements commerciaux, le meurtre chic, la faux marbre, les villes avec plus de casinos que d’universités, ou chaque centimètre des rues et des écrans est envahis par la publicité, les gouvernement convertis en tripots et les tripots élevés au rang de gouvernements sont la vitrine évidente de la dictature du crime organise. A la différence de l’art légitime, l’art-narco n’attire pas l’attention pour ce qu’il est, mais en interférant avec la perception d’autres choses agréables. La légitimation des capitaux est parallèle à la légitimation de l’esthétique de par son obstination à cacher la provenance des signes qu’il exhibe. C’est cela que doit détruire une Révolution et un Art Révolutionnaire. Le pouvoir de l’esthétique contre l’esthétique du Pouvoir.



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Photo et texte: Luis Britto Garcia
Traduction: R.V.
Article original : ici

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